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 Ma chère maman

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ScarletAbyss
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ScarletAbyss


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Date d'inscription : 25/07/2016

Ma chère maman Empty
MessageSujet: Ma chère maman   Ma chère maman EmptyJeu 22 Mar - 18:20

Je ne me souviens pas de la mort de mon père, car je n'étais qu'un bébé lorsqu'il est tombé au champs de bataille. Cependant, chaque fois que son nom était prononcé, chaque fois que les yeux de ma mère se posait sur une photographie de lui, son regard s'emplissait d'une tendresse et d'une tristesse à la fois que je ne comprenais pas. 

Je n'avais jamais vu les parents de ma mère : ils l'avaient reniée lorsqu'elle avait choisi de marier mon père par amour, plutôt que le prétendant qu'ils lui avaient choisi. Pourtant, chaque fois que je voyais le visage de ma mère s'illuminer des toutes ses émotions lorsque je lui demandai de me parler de lui, je ne me sentais que plus étrangère à ces inconnus qui l'avaient déshonorée. Je n'avais que sept ans, et déjà je ne comprenais pas pourquoi l'honneur était plus important à certains que le bonheur que procure la présence de l'être aimée.

Pour moi, ma mère était tout mon univers. Seule sans mon père, elle gérait le manoir familial avec l'aide de notre bonne et de notre majordome, et même si cela lui prenait beaucoup de son temps, elle prenait toujours le temps d'être près de moi. 

Ah! Maman. Que j'étais fière d'être ta fille! Je me souviendrais à jamais de nos jeux, de ces soirées où, emmitouflées sous un drap chaud, tu me faisais la lecture. De ces matins où, une tasse fumante en main, nous jouions à la dînette, où ces matins pluvieux lorsque tu me regardais en riant patauger dans les flaques d'eau ou courir après quelques pauvres petites grenouilles. Ce que je donnerais pour revivre ces moments heureux où tu étais près de moi...

Je me souviendrais toujours nettement du jour où j'ai pris conscience que nos vies basculeraient à jamais. Nous étions dans le jardin : toi, debout avec ton ombrelle près de la porte et accompagnée de notre bonne, moi entre les fleurs, observant et récoltant quelques insectes. Je me souviens que tu ne te sentais pas très bien, et je désirais te réconforter. En déplaçant délicatement quelques feuilles, une belle chenille vert et jaune était apparue devant mes yeux éblouis. Je me souviens encore de l'effet de l'éclat du soleil sur sa peau rugueuse : elle te ferait sourire, j'en étais certaine. Toute heureuse de ma découverte, je me suis retournée pour te montrer la chenille. Je me figeai lorsque de mon regard je te vis là-bas, pâle comme la neige, perdre connaissance et basculer sur le côté. Notre majordome avait eu juste le temps de te rattraper avant que tu ne t'effondres au sol. Aussitôt, je criai et me précipitai vers toi, toute inquiète.

"MAMAN!"

Peu de temps plus tard, je me retrouvai devant la porte close de ta chambre, serrant ma poupée de porcelaine contre moi, pleurant et reniflant doucement. La porte s'ouvrit doucement et Madeleine, notre bonne, me fit un doux sourire.

" Est-ce que maman va mieux?", demandai-je aussitôt en tirant la bouche en une moue inquiète.

" Elle est encore avec le docteur. Allez. Nous allons la laisser se reposer."

Madeleine prit mon bras et me tira doucement à contresens de la porte. Je suivis Madeleine d'un pas lourd et jetai un dernier regard derrière moi, vers la porte qui nous séparait.

Ce soir-là, la gentille Madeleine avait pris le temps de me servir mon repas et m'avait couchée au lit l'heure venue. Elle m'avait embrassée sur le front après m'avoir réconfortée, me souhaitant bonne nuit, et je l'avais imploré d'embrasser aussi ma poupée, comme tu avais l'habitude de le faire. Lorsque la noirceur fut et que je me retrouvai seule, le sommeil refusait de venir à moi. Je m'étais alors glissée hors de mon lit et, serrant ma poupée contre moi, je me dirigeai dans le couloir sombre, vers ta chambre. Doucement, j'ouvrai la porte. Je restai là un moment, la poignée toujours en main, observant la silhouette sous les draps, puis m'avançai à petits pas vers le grand lit. Il me fut grandement difficile de me hisser sur le matelas à tes côtés, mais lorsque finalement j'y arrivai, je me glissai doucement sous les draps et posai mon regard sur ton visage paisible.

" Maman..." murmurai-je.

Mes paupières se firent lourdes, et le sommeil finit par me trouver. Le lendemain, je me fis réprimander par la bonne qui me retrouva dans ton lit. Toi, cependant, tu m'avais sourit et m'avait promis que tu te porterais mieux bientôt.

Maman, toi qui était l'univers de ta fille de six ans, sais-tu à quel point l'année suivante fut difficile pour moi? Chaque fois à partir de se jour que tu me souriais doucement, je ne pouvais m'empêcher de me demander combien de temps j'y avais le droit. Très vite, ton emploi du temps fut chargé de rencontre avec avocats, notaires et docteurs en tout genre, mais rares furent les moments où tu étais près de moi. Je ne voulais que jouer avec toi, passer le plus de temps possible avec toi, avant que cette possibilité se dissipe. Je voulais tellement que tu comprennes que j'avais besoin de toi. J'avais tant de haine pour ces gens qui passaient du temps avec toi, alors que moi je restai seule dans la pièce voisine.

Un jour, une femme munie d'une ombrelle et d'une étrange valise apparue à notre porte. Elle était très jolie, comme ma poupée, mais je la détestais déjà car je savais qu'elle allait prendre de ton temps. Tu l’accueillis avec ta tendresse habituelle et lui offrit une tasse de thé. Je restai là, assise en retrait avec ma poupée, la détaillant d'un œil maussade. Elle accepta et te remercia, puis posa à plat sa drôle de valise sur la table. Mes yeux s'écarquillèrent de surprise lorsqu'elle l'ouvrit et en sortit une drôle de machine avec plusieurs touches surélevées sur lesquelles une lettre différente était indiquée. La dame retira ses gants et te demanda ce qu'elle devait indiquer dans la lettre et à qui elle s'adressait. Tu te tournas vers moi et gentiment, me demanda :

" Juliette, ma chérie. Vas jouer dans la pièce voisine, s'il-te-plaît. La dame et moi avons besoin de parler entre nous. "

Mon regard se déplaça rapidement entre ton visage et celui neutre de l'inconnue. Je protestai.

" Mais Maman! Moi aussi, je peux écrire une lettre pour toi!"

Tu me souris et me répondis:

" Bien sûr que tu le peux, mais madame Solange est ici pour cela, et tu ne peux pas encore écrire les lettres dont j'ai besoin, ma chérie. "

Je tournai les talons et me déplaçai vers la pièce voisine en pestant, les bras croisées pour démontrer ma mauvaise humeur.

Pendant deux semaines, l'inconnue demeura à la maison et s'enfermait à chaque jour avec toi dans un bureau ou sur la terrasse et, une tasse fumante à ses côtés, elle tapait sur sa machine. Je passais alors beaucoup de temps à la fenêtre donnant sur la terrasse à vous observer, et dès que tu semblais mal en point, sur le point de t'évanouir ou toussant un peu trop, mes poings se serraient. Madeleine venait souvent me rejoindre et tentait de me divertir en jouant avec moi, mais je n'étais pas d'humeur.

Un matin où tu ne te sentais pas très bien et toussais plus qu'à l'habitude, je me suis précipitée sur la terrasse et, fâchée, avait hurlé:

" À quoi bon ?! À qui écris-tu ces lettres ?! Qui en à faire de toi autre que moi! Papa n'est plus là, alors à qui les écris-tu?"

" Juliette, ça suffit. Ces lettres sont très importantes. " répondis-tu.

" Menteuse! Tu es une menteuse!" répliquai-je, hors de moi.

" Juliette, je ne t'ai jamais menti. "

" SI! Tu m'as dit que tu irais mieux bientôt et que tu jouerais avec moi, mais ce sont des mensonges! Tu ne vas pas mieux! Et tu passes ton temps avec tout le monde sauf moi, mais tout le monde s'en fiche de toi."

" Juliette, s'il-te-plaît... "

" Pourquoi tu ne passes pas le temps qu'il reste avec moi! Je ne veux pas que tu me laisses seule!" criai-je en pleurant.

Tu fondis en larmes devant moi. Je tournai aussitôt les talons et me précipitai vers ma chambre en pleurant à chaudes larmes. Ce soir-là, je refusai de toucher mon repas et décidai de rester dans ma chambre. Quelqu'un se mit à doucement cogner à la porte de ma chambre.

" Puis-je entrer? ", demanda la voix de Solange.

J'acceptai à contrecœur. Le visage de la dame apparu bientôt dans le cadre de la porte, puis elle entra et referma la porte derrière elle. Le visage dans les mains, je refusai de la regarder. Elle s'installa près de moi sur le lit et me dit doucement.

" Je comprend comment tu peux te sentir, Mademoiselle Juliette. Mais je veux que tu saches que je ne suis pas ici pour te voler ta mère."

Je levai mon regard vers elle, les larmes aux yeux.

" Je suis une méchante fille."

" Bien sûr que non, de quoi tu parles?"

"Si, j'ai fait pleuré ma maman ", répondis-je en reniflant.

" Il est normal de vouloir passer du temps avec les gens qu'on aime lorsqu'on a peur de les perdre", répondit-elle doucement. "Et je veux que tu saches que les lettres que nous écrivons elle et moi sont pour une personne très importante. "

" Qui? "

" Je ne peux le dire. "

" Pourquoi?"

" Parce que c'est une information confidentielle. "

" Arrête avec tes grands mots!!" m'offusquai-je. 

Elle me sourit doucement et posa sa main sur ma tête.


" Dans quelques jours, mon travail ici sera terminé et ta maman passera tout son temps avec toi. D'ici là, j'espère que je peux compter sur ta patience. "

Maman, te souviens-tu lorsque Solange a rempli sa requête et est repartie, à quel point on a eu de moments heureux? Je me souviens de toi, souriante, jouant avec moi et ma poupée à la dînette. Je me souviens de ton rire lorsque je me suis déguisée en dame avec tes vêtements trop grands. Je me souviens du bonheur que j'avais ressenti. Et je me souviens parfaitement de ma douleur lorsque deux mois plus tard je regardai la bonne vider ton lit de tes draps, vider la penderie de tes beaux vêtements, vider la penderie de ces grands jolis chapeaux que tu aimais tant. Je me souviens avoir vu Madeleine fondre en larmes dans la cuisine, pensant probablement que j'étais au lit. 

Je me souviens lorsque les funérailles ont eues lieux, le ciel était gris sombre et il s'était mis à pleuvoir. Les gens s'étaient rassemblés à ta mémoire. J'avais gardé la tête basse, fixant les souliers cirés mouillés que je portais. Madeleine était près de moi, un parapluie noir dans une main, ma main dans l'autre. Les gens qui étaient venus sont tous partis. Éventuellement, je me retrouvai seule devant ta tombe, complètement trempée. Je fixai le tas de terre retournée sous lequel tu gis. J'étais seule au monde. 

Éventuellement, quelqu'un vint me chercher et je me retrouvai sous la tutelle d'une tante que je ne connaissais pas. Tes parents qui ne s'étaient pas présentés à tes funérailles n'avaient aucun intérêt en ma personne. Ma tante fut bonne pour moi, mais elle n'a jamais remplacé le rôle que tu avais. 

Le jour de mon anniversaire, je n'avais aucune envie de sortir de ma chambre. Ma tante vint cependant me quérir doucement et m'annonça que quelqu'un était venu me rendre visite. À la porte, son ombrelle en main, Solange m'attendait. Quelle ne fut pas ma surprise en la voyant! Elle me tendit une lettre scellée en souriant doucement et murmura:

" Joyeux anniversaire, Juliette."

J'ouvris la lettre lentement et clignait des paupières plusieurs fois en lisant, ne croyant pas ce que je lisais.




Ma chère Juliette,



Tu as maintenant huit ans, ma chérie. Je sais que tu dois être triste, mais en ce jour spécial, je veux que tu saches que je suis encore là, à veiller sur toi. Te souviens-tu, ma chérie, le jour où tu m'as demandé qui est la personne la plus importante à mes yeux? Ma réponse n'a jamais changé : c'est toi. Depuis le jour où je t'ai pour la première fois tenue dans mes bras jusqu'à la fin des temps, je t'ai aimé, je t'aime, et je t'aimerai toujours. 



Saches, mon enfant, que les lettres que j'ai écrites te sont toutes destinées. Il y en a une pour chacun de tes anniversaires à venir, et cela pour cinquante ans. Car, même si moi et ton père nous ne sommes plus, tu es et resteras à jamais mon bébé et je continuerai de t'observer et de t'encourager de là-haut.


Bon anniversaire, Juliette.



De ta maman qui t'aime.




Une à une, les larmes se mirent à couler de mes yeux et s'écrasèrent sur le morceau de papier que je tenais entre mes mains. Quel était ce sentiment, maman, qui s'empara de mon cœur ? Ce fut plus fort que moi, je me pliais en deux, serrant la lettre contre moi et criai ton nom en fondant en larmes. Solange me prit dans ses bras, les larmes aux yeux. Je ne sais combien de temps je suis restée sur le porche à pleurer à chaudes larmes avec Solange près de moi. Je me souviens cependant de ma tante qui, entendant mes pleurs, s'était ruée vers la porte, le visage troublée par la vision de la lettre tachée de mes larmes que je serrai contre moi.



Maman, aujourd'hui c'est mon tour d'être mère. Le sentiment que me procure la vue du visage paisible de mon bébé me rappelle à toi, à ta douceur, à ta tendresse. Chaque année, je reçois encore tes lettres. Je sais que tu es là, et que tu me guides. Saches que mon enfant et son enfant après lui sauront qui tu es, car ta mémoire vit encore en moi et que je compte la leur transmettre. Car, maman, je suis et je serai toujours fière de m'appeler ta fille.
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